La composante « Facteur humain et comportements » dans la culture sécurité en entreprise.


L’implication des salariés est le socle de la culture sécurité. Si l’analyse des conditions de travail et des dispositifs de sécurité demeurent une priorité dans de nombreuses entreprises, la prise en compte des comportements s’inscrit dans la démarche de prévention des accidents. Largement théorisés, les facteurs humains sont (souvent) déterminants dans l’analyse des risques et des consignes, et se révèlent à la source d’une réflexion sécuritaire. En conséquence, la question se pose pour déterminer la meilleure stratégie de prévention: si l’erreur est humaine, est-elle inévitable?

Histoire du comportement humain en matière de sécurité.

Depuis sa création en 1919, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) contribue à améliorer les conditions de travail à l’échelle planétaire, en adaptant constamment ses principes à l’apparition des nouveaux secteurs, enjeux et impératifs. Après la Seconde Guerre mondiale, de nouvelles institutions (ONU,OMS) ont fait de la sécurité au travail une priorité, mobilisant des milliers d’experts chargés d’apporter les corrections nécessaires dans le paysage industriel notamment. On cherchait en ce temps-là à dompter les machines, assurant la fiabilité pour maîtriser les facteurs techniques de sécurité. Dans les années post-Tchernobyl, la culture sécurité se démocratise à mesure que les défaillance techniques se réduisent.

En 2003, la 1ère Journée Mondiale de la Sécurité et de la Santé au Travail traduisait les préoccupations grandissantes du public pour la question, et l’intégration des facteurs humains et comportementaux s’imposait dans les stratégies de maîtrise du risque. Une prise de conscience née d’une évidence: face à un danger, il faut décider très vite avec un flux d’informations soudain et crucial. Dans l’urgence, le rationnel et l’analyse laissent place à l’émotion et aux réflexes, précipitant une réaction qui dépend largement de notre intuition et d’une interprétation subjective.

Dès lors, si l’esprit et le geste ne sont pas « éduqués » pour gérer l’imprévu, il en résulte des prises de décisions maladroites ou erronées qui conduisent à l’erreur et l’accident. Toutefois, si l’humain est l’élément central et déterminant de la sécurité au travail, il n’en demeure pas moins tributaire des conditions organisationnelles, qui dépendent elles même de l’approche sécuritaire globale.

Histoire du comportement humain en matière de sécurité
Carotte ou bâton, la question qui fâche

Carotte ou bâton, la question qui fâche.

Afin de mieux comprendre l’influence du facteur humain dans une situation d’accident, plusieurs modèles théoriques ont vu le jour, adoptés ou révisés au fil des ans et des avancées sociales.

Pierre angulaire des études scientifiques, le béhaviorisme (behavior=comportement) suppose qu’un comportement disparaît si l’individu n’y trouve pas de profit ou si cette attitude fait l’objet d’une réprimande ou d’une sanction. A l’inverse, si le comportement implique une satisfaction ou une récompense en retour, il se renforce positivement. C’est le fameux théorème de la carotte et du bâton,
suggérant que l’individu agit par intérêt ou par crainte, un postulat dangereux après des siècles de lutte et de progrès sociaux.

Justement, les modèles comportementaux modernes, conscients du caractère réducteur des premières
conclusions, tendent à responsabiliser l’individu, misant sur le conditionnement positif et une compréhension globale des enjeux de sécurité.

Ainsi, les modèles néo-béhavioriste (ABC, de Skinner ou SRK, de Rasmussen) détaillent les trois phases de réflexion chez l’individu, que nous résumerons par 1) stimulus 2) réponse et 3) renforcement (positif ou négatif). Exemple : dans un contexte précis, j’ai rencontré telle ou telle problématique, j’ai pris une décision, bonne ou mauvaise. Je suis donc capable aujourd’hui de réagir en fonction de ces souvenirs personnels, car je me rappelle parfaitement des conséquences. Je ne réagis plus par rapport à une
instruction ou un ordre (carotte ou bâton) mais par rapport à un ressenti et une expérience subjective.

Sur le papier, la finalité est identique: le sujet évite un problème et profite de ses bonne décisions. Mais ce que démontrent les études, c’est ce que revendique la grande majorité des individus, en entreprise ou ailleurs: la possibilité d’agir de leur propre chef, sans menace ni promesse, et avec une considération relative. Ce qui implique, logiquement, des expériences malheureuses qui conduiront à une prudence accrue, et un respect des consignes qui renforcera les bonnes habitudes.

Mais si la volonté est légitime, tous les individus ont-ils les mêmes capacités pour interagir en sécurité? La liberté de choix et d’action dispense-t-elle ses acteurs de tout conditionnement?

Cliquez ici pour lire notre article sur le BBS (Behaviour Based Safety)

Comportements : le choix du moi ?

D’un comportement machinal (sensori-moteur) découlent les actes routiniers; dans cette situation le coût cognitif d’un opérateur est moindre. En cas d’incident familier, l’opérateur identifiera et corrigera sur la base de ses connaissances, une réaction quasi-inconsciente. Les pièges liés à cette routine sont bien évidemment la diminution de l’attention et du sentiment de danger, rendu familier par la
répétition de la tâche ou des gestes.

Dans un autre contexte, les actes répondant à des consignes (comportement procédural) réclament une activité cérébrale plus complexe. L’opérateur mobilise ses facultés mentales pour se conformer à des règles ou des procédures. Le risque est ici lié à une incompréhension des consignes, une omission volontaire et l’impossibilité de répondre à une situation d’urgence, faute d’instruction précise en cas d’incident. L’opérateur se concentre donc sur un protocole, mais son esprit et ses réflexes ne sont pas éduqués pour l’imprévu, sa capacité à décider dépendant largement d’un processus qui ne lui appartient pas.

Enfin, les actes basés sur la réflexion (comportement cognitif), issue d’une connaissance ciblée, sont la conséquence d’une interprétation de différents signaux, éventuellement d’un diagnostic et de l’existence d’alternatives. L’opérateur est en mesure de construire un modèle mental pour résoudre une problématique, mais c’est un processus plus long que le simple réflexe.

Ces trois comportements, décrits par J. Rasmussen dans les années 80, trouveraient leur équivalent laconique de la sorte:

  • j’exécute parce que je sais faire comme ça
  • j’exécute parce qu’on me dit de faire comme ça
  • j’exécute parce que j’ai compris pourquoi et comment je devais exécuter.

En faisant abstraction de l’imprévu, la routine, les consignes ou la connaissance ne devraient pas être mis en concurrence, mais plutôt appréciées comme une palette complète de capacités, favorisant l’exécution des tâches en sollicitant tour à tour les comportements adéquats.

Comportements : le choix du moi ?

La question de la responsabilité individuelle

Dans une logique de prévention sécurité, l’enjeu est donc d’organiser et former ses équipes à s’adapter aux modification de l’environnement (imprévus), aux habitudes nouvelles (modernisation, évolution) et à l’assimilation globale des questions de sécurité (culture sécurité). Le tout sans déroger à une certain conditionnement qui ne dit pas son nom, nécessaire en terme de gestion de groupe et d’objectifs.

C’est là que la question de la responsabilité individuelle ressurgit: dans un monde ou l’indépendance est un facteur supposé d’épanouissement, l’individu se fait plus hostile à toutes formes de manipulation et se défie de l’autorité.

Dans une guerre de marché, on accepte les ordres de l’état-major à condition de solde, mais on ne laisse aucune chance au petit caporal. La faute, entre autres, aux procédures dépassées ou rigides, aux hiérarchies déconnectées de la réalité du terrain et aux difficultés relationnelles, obstacle intemporel à l’organisation de travail.

Un mal pour un bien, en somme, puisque la considération pour l’individu tend naturellement à lui accorder une confiance relative, une invitation à mobiliser ses facultés cognitives, privilégiant la réflexion plutôt qu’une obéissance aveugle.
Prendre conscience, c’est souvent prendre confiance, ou l’inverse…

La question de la responsabilité individuelle
L’erreur humaine

L’erreur humaine

Pour mieux former, il faut identifier les besoins et les lacunes propres à chaque profil. Puisque la confiance est réclamée, elle doit se mériter. Dès lors, pour adapter la prévention et harmoniser les discours, il convient de reconnaître les attitudes susceptibles d’impacter ou parasiter les comportements: l’action, l’omission et la perception.

Les erreurs humaines peuvent être latente ou à effet immédiat. Une mauvaise manipulation, un mauvais jugement ou l’infraction d’une règle de sécurité implique souvent une conséquence quasi-immédiate, tandis qu’une négligence, un oubli ou la procrastination se révèle cruciale sur la durée ou par suite d’un concours de circonstance.

Mais quel que soit le processus, l’erreur humaine est un manquement à une intention, une norme ou une logique. En d’autres termes, que se passe-t-il dans la tête de l’individu avant l’erreur? La réponse dépend certes de l’état émotionnel du moment, mais en grande partie de l’état d’esprit du sujet, donc une constante dissociable de la situation. Par exemple, le contestataire qui a l’habitude de critiquer
l’autorité ou les procédures n’aura que peu de chance d’appliquer scrupuleusement une consigne, même si ses facultés intellectuelles et cognitives sont intactes.

Se sentir invulnérable est un autre piège; un esprit même sympathiquement arrogant adoptera par habitude un comportement provocateur, avec un déni du danger inquiétant. L’impulsif réagit vite, mais pas toujours bien. Le résigné ne voit pas l’intérêt d’une formation sécurité; puisque les accidents sont inévitables, pourquoi donc retenir les méthodes de prévention? Le distrait est plein de bonne volonté, mais accaparé par son smartphone ou ses illusions, le nerveux est tellement en marge de l’équipe qu’il en refuse les mises en garde, et le vétéran a toujours fait ainsi, alors pourquoi changer…
Chaque profil va alors choisir l’action ou l’omission en fonction de sa perception, avec des justifications assumées ou inconscientes.


Neurosciences et biais cognitifs : Vous avez dit percevoir ?

Selon Claude Bonnet (Le cerveau et la pensée, 2014), « la perception est la capacité qui permet à un organisme de guider ses actions et de connaître son environnement sur la base des informations fournies par ses sens. »

Sauf que nos sens et le traitement de toutes ces informations varient selon les individus et les nombreux
biais cognitifs. Si le terme vous vaudra une attention soutenue dans une conférence sur les neurosciences, simplifions en décrivant les biais comme des illusions produites par notre cerveau influençant notre perception.

C’est une opération mentale intuitive, mais que nous percevons (encore!) comme un raisonnement rationnel, issu des tréfonds de la nature humaine et qui échappe à notre contrôle.

A titre d’exemple, en 2009, la CIA publiait en interne des solutions censées atténuer l’effet des biais cognitifs dans l’analyse du renseignement, pour garantir un traitement neutre de l’information…
Ajoutons à la réaction primaire les impondérables, la fatigue, le stress, la suractivité, qui bouleverseront la perception du danger, pour faire éclater la nécessité d’une culture sécurité suffisamment enracinée pour résister aux éléments qui tempêtent sous le crâne de notre opérateur.

Neurosciences et biais cognitifs

Conclusion :

Il est désormais acquis que la culture sécurité est une affaire de groupe: une dynamique souhaitée et partagée par le management qui motive l’implication de tous les opérateurs, eux-mêmes largement associés à l’élaboration des méthodes de prévention. Formations, animations, jeux de rôles; toutes les facettes de la sensibilisation doivent concourir à une démarche d’appropriation personnelle
autant qu’une prise de conscience collective.

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